« Etendue de glace qui brisez chaque élan, qui canalisez chaque vie, laissez-le donc passer, lui qui s’avance l’allure dansante et l’œil brillant. Laissez-le donc survoler ces plaines qui n’appellent que lui, qui ne charment que ses seules oreilles. Ne voyez-vous pas qu’il boîte et se meurt déjà ? Il est égal à ce grand cygne qui, un jour, s’était égaré et dont les ailes portaient sur elles les vermeilles traces de la vie, de la vie qui s’enfuyait. Vous le pensez ou l’espérez perdu, mais ses foulées décidées et rapides montrent le contraire : il sait, il sent ou ressent chacune de ces choses, chacun de vos imperceptibles mouvements et chacun de vos sourds murmures. Vous qui chantez éternellement de ces voix graves et mugissantes, vous qui vous pensiez incomprise, ne doutez plus ni de lui ni de son âme : le fantôme à la robe de lune sait. Il sait vos douleurs quand, parfois, se fissure votre corps. Et combien de fois a-t-il tremblé de vous entendre ainsi gémir ? Il vous aime, il vous aime tant ! Mais vous, vous faites de lui votre proie, et vous vous refusez à tendre vers lui une once seulement de tendresse. Ne vous y trompez pas : il sait la cruauté et les cicatrices qui constellent son corps en attestent.
« Comme un forcené, il dévale vos vallons enneigés, bondit, vrille et repart, toujours plus vite. Est-il inconscient, pour s’exposer à de tels dangers ? Il pourrait glisser, déraper ou encore sombrer dans une large fissure, se broyer un membre et, abandonné à lui-même, mourir à petit feu, pris au piège dans votre éternel hiver. Mais là est sans doute la clef de sa personnalité : une seule pièce dont les deux faces sont rivales. Penser ou ne pas penser, savoir ou ignorer. Quel est le rôle qu’il a choisi d’endosser avant de se perdre ici ? Vous n’en savez rien, et vous ne pouvez que le regarder, lui qui se moque de vous et qui s’approprie chaque parcelle de terre, comme si elle avait été sienne. Le ployer, le faire sombrer ? L’idée vous séduit, mais même si vous en preniez l’initiative, il vous en empêcherait.
« Bien au-dessus de vous, il ne connaît que l’Olympe. C’est de là-haut qu’il s’amuse des vies de ses créations, c’est de là-haut qu’il décide de les faire mourir, broyant leurs existences dans ses mains fatiguées et comme usées d’un éreintant travail manuel. Pourquoi, pensez-vous orgueilleusement, pourquoi s’opposerait-il à ce sort ? Parce que cette âme vagabonde, ce cœur sanguinolent n’est rien sinon sa création la plus aboutie : une machine dotée d’un esprit, d’une âme et d’organes gorgés de sang. Une création mortelle et faillible. L’aboutissement du travail d’une vie.
« Mais comme vous ne le regardiez plus, voilà qu’il semble avoir disparu. Sa silhouette blanche s’est fondue dans le paysage hivernal et plus rien ne bouge. Seule votre voix transforme et enchante encore ce lui. Pourtant, oh pourtant, il est juste là, droit sur ses aplombs, les paupières closes et l’oreille aux aguets. Il attend, écoute et s’abandonne : ce n’est que votre chant qu’il est venu chercher, amateur de magie et de sorts. Il serait presque malgré vous votre enfant : amoureux d’une mère qui n’aurait de cesse que de le repousser encore et toujours.
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Sujet: ☸ PESMA POLEDICA. » 
Sam 24 Mai - 16:37
