Dans ce flot gris de tristesse embrumé par les plaintes silencieuses d'une brise légère et délicatement parsemé de perles de pluies, la silhouette sombre se détachait du paysage macabre comme une torche jeté dans un trou grouillant de vermines. En cet instant, ne survivait que le brouillard qui enfla en quelques milles endroits puis cracha, en un souffle, son manteau blanchâtre afin de s'évaporer en de filaments épars, fragiles ballets aériens que ses pupilles fixaient avidement. Le voile argenté se déchira soudainement alors que des formes transperçaient son relief, et fusant tels des lances acérés, s’élevèrent tout autour d’elle, les monuments de la cité endormie. Folie humaine, des édifices aux reflets d’or, monstrueuse ambition, touchant de leurs pointes, le firmament devenu un impitoyable désir pour ces ancêtres affamés de côtoyer les astres. Ainsi, étais-ce eux, de leurs fragiles phalanges meurtries, qui au prix de milles efforts, avaient fait hissé ces blocs en de pyramides sacrées pour obtenir ces masses prodigieuses, dont les façades semblaient dévorer les rayons incandescents du soleil ? Si soudainement, l’onde de la brume avait disparu comme si ce lieu, en monstre vorace à la faim inassouvie d’un long sommeil, avalait toutes choses à la vie éphémère, qui s’approcherait en curieux visiteur. Cet empire dégageait une douce poésie qui étalait ses ailes sombres au dessus de la pourriture humaine, formant à lui-seul un dôme isolé du reste, enfermant égoïstement la beauté qu’il avait su déterrer dans les méandres de la vie.
Voix -« Oh damnation éternelle, voici un royaume pour toi, petite princesse. »
Une nuée de voix piquèrent sa conscience, fêlant le silence funèbre de son âme et ces minuscules blessures devinrent brûlures, cloques grotesques, qui libéraient en elle un pus mystifiant de folie. Ce n’était pas tant qu’elle fut comme ailleurs, dans un monde de rêverie perfide, s’essayant à toutes sortes de stratagèmes, modelant à sa guise les faits passés pour ainsi illuminer son rôle et se convaincre de ce qu’elle était. Reine de son culte, elle était bien au dessus d’eux, ces vermisseaux insignifiants qui la désiraient, arrachaient son cœur pour garder à eux des lambeaux sanguinolents, conscient de la valeur de ces morceaux de chairs. Étais-ce son « moi » ou son « ça » qui avait déformé sa perception, floutant sa vision si bien que ces idéaux se résumaient à quelques tâches nébuleuses dont les formes se noyaient à l’obscurité de ces principes ? Ses réflexions se résumaient à ce domaine fermé : les perspectives d’ambition, les envies de gloire, le manque cruel d’affection et les squelettes morts qui hantaient ses cauchemars. Dans un futur lointain, elle savait qui serait celui qui la tuerait, qui arracherait ses boyaux et ses tripes, les tendant au firmament comme libéré de son étau : c’était elle, petite Rizzen, machiavélique corbeau noir, délicat cygne blanc, Bien et Mal.
Qu’est-ce que Nightmare pouvait bien faire de ces idéaux ? Tout cela, toute cette merde dans laquelle il avait réussi à se fourrer, oui il l’avait voulu et il s’était battu pour ça, mais merde, qu’est-ce que les chevaux d’ici étaient cons ! Nightmare avait que faire de ces carcasses idiotes de cette foutue fraternité qu’il venait d’intégrer. Lui, ce qu’il voulait, c’était Rizzen. D’ailleurs, où est-ce qu’elle était allée ce planquer, cette idiote ? Sous le ciel sombre, l’étalon galopait sur les cailloux qui roulaient sous les vibrations de ses sabots frappant le sol – pauvre sol. Son allure fière et classe démontrait la puissance de cet être, ses yeux fous démontraient la folie et la soif de vengeance. Le pauvre Nightmare trahi et brisé n’avait plus qu’une seule chose en tête désormais, la même qu’auparavant néanmoins, mais cette fois-ci dans le sens négatif. Car c’était en effet Elle qui rôdait dans sa tête tel un cauchemar permanent seulement, il pensait à elle comme la merde la plus laide qu’il puisse trouver. Il arriva à la cité des anciens, une terre solitaire n’appartenant à aucune des fraternités. Tant mieux, parce qu’aujourd’hui plus que les autres jours, Nightmare n’aurait pas supporté de fouler le sol des sirènes à la noix.
Cette foutue citée représentait des bâtiments sans aucune signification pour Nightmare et il ignorait complètement ce pour quoi tout ça avait été construit et à vrai dire il n’en avait strictement rien à secouer. Il trotta entre les ramassis de pierres non pas sans toiser ces derniers avec dédain. Ce n’est que de la pierre ou autre matière de construction dont il n’avait que faire mais rien au monde ne pouvait pas dégouter ce cheval particulier qu’était notre étalon noir. Etalon noir qui finit par marcher pour éviter de se fatiguer pour rien – ce serait trop dommage après tout, de transpirer sans aucune justification particulière, pour finir par salir son magnifique poil brillant et doux. Le cheval marchait toujours avec belle allure, inspectant les lieux en quête de quelque chose d’intéressant qui pourrait lui donner une idée quelconque d’occupation ou bien même un petit poulain innocent à traumatiser pour la forme, ça, d’un seul coup, il aimait beaucoup cette idée et souhaita que ça arrive. Quelques minutes plus tard, Nightmare dressa les oreilles et leva la tête en direction d’un claquement de sabot léger. Ce devait soit être une femelle, soit être un poulain. Sous un sourire sarcastique, l’étalon trotta jusqu’à la source de bruit. Lorsqu’il y découvrit Rizzen. Alors elle était là, cette merde. C’était peut-être mieux qu’un poulain à traumatiser au final. Mais bizarrement, il eût une sensation de ventre noué comme c’est bizarre. Tiens, NIghtmare aurait-il le trac ? Mais non… Jamais !
Il s’approcha d’elle doucement et se tint derrière elle pour ainsi, dire d’une voix glaciale :
Instant gracile et volage, comme un souffle léger et délicat, il lui semble que son corps tient en équilibre, funambule de son temps, pendue à son fil. Derrière elle, l'haleine putride du monstre se pose sur le velouté de sa robe, laissant sur elle quelques tâches grasses de son mépris et elle ne désire plus que cela, qu’il s’en aille, qu’il éloigne d’elle sa carcasse pourrissante. Nightmare. Reconnait-elle en elle quelques vestiges de sa pitié tendre, de son attachement délicat que ce nourrisson accroché lui avait procuré ? Elle ne sent pourtant en elle que du dégoût qui dégouline en de grosses perles putrides sur ses souvenirs sanglants. Leurs corps se rapprochent, importun et poisseux, contact qui la répugne autant qu’il la désole. Il lui fut utile en un sens, et leurs moments passés ensemble ne fut jamais une contrainte mais elle ne pouvait, ni même accepter, que cela alla au delà que de l’utilité. Il était un objet et s’il eut fallu le caractériser, ça aurait été une poupée au visage candide et innocent qui lui rappelait ses rêves merveilleux des contes de son enfance. Seulement, le joujou était devenu brusquement violent et il ne lui procurait plus que de vagues soupirs et murmures. Sa voix tonitruante vint à elle en un torrent grossissant, brisant dans son flux croissant les quelques barrières qu’elle avait su mettre. Ainsi donc, son ton ne lui semblait plus agréable ni sympathique, l’étalon semblait tout à la fois oppressé, colérique et au bord du gouffre mielleux de son amour. Fidèles à cet instant, ne songeant à s’évaporer parmi les astres du firmament, les voix revinrent à ces oreilles :
Voix –Il me semble tout à fait dangereux. Regarde donc ces yeux fourbes, il est fou, jolie princesse. Il fallait l’éliminer avec l’autre, tu n’as pas osé le faire, tu le devras.
Qu’il est donc méprisable d’afficher ainsi sa prestance, sa confiance alors même que la bête se love dans un coin lorsque des êtres plus forts s’élèvent. Elle songe un instant qu’il lui faudrait exécuter les ordres puis se ravise, incertaine de ce que le terrain aux alentours lui permet. Il lui faut laisser les pulsions dangereuses venir en elle, grimper dans son esprit en attendant de réveiller ses chimères. Elle hésite alors même qu’elle ose se tourner pour faire face à l’être méprisable qui lui fait face. Les mots résonnent encore en elle, elle ne comprend que des brides des voix qui tourbillonnent et virevoltent de nouveau. Elle ouvre ses délicates lèvres mais les sons ne passent pas la barrière, ils restent bloquer derrière ses projets de morts et de vengeance. Est-elle la victime ou la prédatrice, peut-elle encore jouer sur les sentiments de celui qu’elle a trahi et trompé ? Elle balance entre ces deux pensées, imaginant le cadavre et la promesse de la gloire s’il retombe dans ses bras. Elle décide donc de faire profil bas et articule seulement :
Elle – Nightmare, te voilà, je me demandais justement quand je te reverrais.
Fausse amabilité, regard doucereux, inclinations mielleuses. Petite poupée, ne fissure pas ton masque en quelques milles morceaux de porcelaine, il serait bien triste d'endommager une si belle création.
De qui est le plus méprisable, de la douce femelle gracieuse aux allures de créature fragile, qui est en réalité une solide façade pour mieux blesser celui qui aura osé l’égratigner en des morceaux fragiles et aiguisés et éclabousser cette pauvre victime qui voulait simplement accrocher à l’espoir de renaître dans une vie pleine de surprises et de joies. Ou bien de la victime elle-même, qui a eu l’ignorance et la stupidité de croire en un amour pareil et sans frontières alors même que les barrières des fraternités en constituaient de belles et solides ; et ainsi accrocher son existence à une seule ébauche d’espoir de bonheur qui donc se retrouva bien entendu éclaté en milliers de débris palpitants encore d’un amour fou et brisé. Un amour menant à une folie déjà présente et qui l’amorça et l’attisa de plus belle comme quelques braises dans des débris de bois menaçant de s’embraser de plus belle jusqu’à en faire un feu menaçant alors que tout cela semblait tellement anodin à première vue. Ce débat tel qu’il pourrait être serait bien long et complexe et il ne finira jamais si on s’entreprend encore à décrire les émotions et les pensées des deux jeunes chevaux qui se tenaient là, dans des décombres et des poussières inoffensives par rapport à la douleur et la rancœur qui planait au-dessus d’eux. Encore serait-il que les choses soient les mêmes pour les deux individus qui se ressemblaient et qui ne se ressemblaient pas du tout en même temps.
Ce que venait de dire Rizzen était plutôt osé et dirait notre étalon plutôt culoté, vu la tournure qu’avaient pris les évènements. Mais regardez-moi cette jument alezane et ma foi oh grande damnation, belle et arrogante. Comment décrire une créature pareille, qui semblait rongée par le mal jusqu’à la moelle ? Peut-être était-ce une ressemblance étrange à notre Nightmare qui se redressa de toute sa hauteur et s’approcha dangereusement de la jument qui parut d’un seul coup petite par rapport à l’étalon imposant. Doucement, étrangement, Nightmare approchait sa tête de celle de Rizzen jusqu’à lui souffler de ses narines dans les yeux de l’insolence sur pattes. Comment osait-elle seulement s’adresser à elle de la sorte. Il plissa des paupières, comme s’il étudiait la pauvre damnée du ciel. Puis il appuya son front contre le sien en lui murmurant des paroles chaudes et mystérieuses.
« Et que penses-tu que je me demandais ? Je t’ai cherchée partout. »
Oh combien ces paroles sonnaient juste au travers des lèvres noires et puissantes de l’étalon qui lui-même croyait presque à ses propres mots. Il voulait voir comment allait se retrouver les choses après une attitude aussi étrange et contradictoire avec lui-même pour mieux piéger la belle à son propre piège. Et peut-être serait-il plus intéressant encore que ce qu’il avait imaginé au départ. Peut-être ici commencerait l’ébauche d’une douce et cruelle vengeance comme s’il allait s’amuser comme un poulain s’amuserait à poursuivre un papillon lent et pourtant tellement hors d’atteinte. Et tellement impressionnable, aussi.
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Sam 10 Mai - 9:42
